Logements sociaux à Grans : maintenir un nécessaire équilibre

En décembre dernier, quarante communes des Bouches-du-Rhône, dont la ville de Grans, ont été sommées par la préfecture des Bouches-du-Rhône de résorber la carence de construction de logements sociaux sur leur territoire. La Loi de Solidarités et Renouvellement Urbain (SRU) impose 25% de création de logements sociaux dans les communes de plus de 3500 habitants. En 2023, Grans en comptait un peu plus de 12%.

Au-delà des pénalités financières, dues en raison de cette carence, la commune peut-elle concrètement répondre à cette obligation ? Une équation délicate, qui repose sur un équilibre fragile entre perspectives de développement et maintien d’un art de vivre, chers aux Gransois.

Logements sociaux : maintenir le développement équilibré de Grans

Malgré les dispositions sévères annoncées par la préfecture (sanctions financières alourdies et transfert du droit de préemption de la commune vers l’État), la municipalité veut garder la maîtrise de son urbanisme pour garantir l’équilibre du développement de Grans.

L’annonce du préfet, le 21 décembre dernier, était pour le moins inattendue. Mais la commune, soucieuse de conserver la main sur son développement urbain, veut faire valoir son point de vue. La sauvegarde de son équilibre démographique et urbanistique et ses capacités financières sont en jeu et risquent d’être lourdement impactées par cette décision préfectorale.

Logements sociaux : 12,09 % du total des logements en 2023

Grans comptait 99 logements sociaux en 2007, soit moins de 6% des logements de la commune. Ce chiffre a déjà plus que doublé en 15 ans.

Nouvelles sanctions financières et juridiques pour les communes carencées

S’agissant du volet financier, les communes « déficitaires » s’acquittent déjà de pénalités financières annuelles et en général, pour une période triennale.

En 2023, la pénalité due par la commune de Grans était de 138 207 euros.

Dans son courrier de décembre, le préfet estime le taux de majoration applicable à la commune au 1er janvier 2024 à plus de 80 %, soit 250 000 euros par an durant trois ans.

Concernant la compétence d’urbanisme, le transfert de préemption vers l’État agit comme une épée de Damoclès sur la libre administration de la commune.

Quelles sont, dès lors, les capacités d’action de la commune pour faire face à la décision la préfectorale ?

La solution du contrat de mixité sociale

Un contrat de mixité sociale est un document offrant à l’État, la métropole Aix-Marseille-Provence, la commune et les acteurs de l’habitat (les bailleurs sociaux) la possibilité de s’engager sur des perspectives de construction communes. Ce contrat, conclu pour trois ans, fixe les objectifs et les engagements pris en matière d’action foncière, d’urbanisme, de programmation et de financement des logements.

Un premier contrat de ce type a été signé par Grans avec ses partenaires en décembre 2017 pour les périodes 2017/2019 et 2020/2022.

Pour la première période, l’engagement portait sur la création de 66 logements sociaux et 48 pour la suivante. À ce jour, sur 114 logements prévus, 110 sont réalisés, trois sont en cours de livraison et l’un des projets est abandonné.

5 questions à Philippe Leandri, maire de Grans

Grans fait partie des quarante communes carencées en termes de logements sociaux. Comment l’expliquez-vous ?

La commune a déjà fait des efforts dans le cadre des lois SRU, Égalité et Citoyenneté. Il faut savoir que 312 logements sociaux sont déjà mis à disposition, et la mairie n’enregistre que 32 demandes en attente à ce jour ! La réalité des besoins est donc loin du nombre réclamé.

Si la réalisation de 320 nouveaux logements sociaux à Grans apparaît irréaliste, il semble toutefois raisonnable d’envisager la construction de 20 à 30 logements sociaux par an. Grans doit prendre sa juste part, c’est normal.

Mais je ne souhaite pas que la ville subisse les erreurs urbanistiques constatées dans nombre de communes depuis des décennies, avec des tours de plusieurs étages qui nuisent au bien-vivre ensemble et dénaturent l’environnement. Résorber la carence annoncée est bien trop risquée pour la commune.

Mon prédécesseur, Yves Vidal, s’est toujours opposé à cette évolution urbanistique. Il avait raison. Je m’inscris dans cette vision. Nous avons déjà refusé près de 900 projets au cours de la décennie précédente, dont la densité proposée par les promoteurs était inacceptable en termes d’équilibre urbain.

Toute nouvelle opération de construction de logements à son impact sur le fonctionnement des équipements publics communaux. En ce sens, je souhaite, avec mon équipe municipale, privilégier la réalisation de logements locatifs sociaux au sein du tissu urbain existant et par le biais de petites opérations foncières, plutôt que des constructions effrénées.

Ma volonté est de plutôt réhabiliter pour éviter de laisser péricliter des maisons vides ou de construire sur des terres agricoles.

Je ne souhaite pas que la ville subisse les erreurs urbanistiques constatées dans nombre de communes depuis des décennies avec des tours de plusieurs étages qui nuisent au bien-vivre ensemble et dénaturent l’environnement.

Philippe Leandri, maire de Grans

Un projet symbolise-t-il la limite de l’action de la commune, face à la décision préfectorale?

Si je devais démontrer l’engagement de la commune en direction de la création de logements sociaux, le meilleur exemple est celui de la Maison Mestre dans le centre-ville. Il symbolise en effet le patrimoine du village qu’il faut préserver en l’embellissant et en le faisant vivre. La municipalité a acquis cette maison en 2021 pour un montant de 450 000 euros. Malgré une subvention de 60 % du département, cet investissement est une réelle charge pour la commune qui ne pourra renouveler ce type d’opération au cours des années à venir, en raison du contexte économique et de la nécessaire rigueur budgétaire que je mets en place. Sans oublier les travaux d’aménagement nécessaires sur le bâtiment et des abords pris en charge par la société d’économie mixte Ouest Provence Habitat. Nous nous sommes donc rapprochés de l’Établissement public foncier Paca (EPF) afin d’établir une convention entre la commune, l’EPF, la métropole. L’EPF pourrait alors acquérir des biens identiques proposés par la commune, soit à l’amiable, soit par préemption.

Ces constructions de logements engendrent-elles des coûts supplémentaires pour la commune ?

Évidemment ! Le projet de l’Enclos a engendré un apport supplémentaire de la population que nos structures municipales (crèche, classes d’écoles maternelle et élémentaire, cantine, réseaux, parking) ont dû fort logiquement absorber. Cela n’est pas neutre et représente des coûts de fonctionnement importants pour la commune. Par exemple, la crèche accueille actuellement 42 enfants. Nos moyens budgétaires ne nous permettent pas à ce jour de construire une nouvelle crèche, ni, de ce fait, une nouvelle cantine !

Il a fallu également repenser les déplacements qui ont augmenté. Nous avons donc préconisé la reconstruction de l’ancienne médiathèque et son déplacement dans un autre lieu. À sa place, un nouveau parking avec des places réservées pour les personnes à mobilité réduite sera réalisé, incluant un nouvel espace vert, des bancs et une fontaine.

Un projet intergénérationnel est en cours d’étude auprès de plusieurs bailleurs sociaux dans le secteur des Coussouls où seront installés une crèche de 25 berceaux et 14 à 17 logements réservés aux personnes du Bel âge». Nous agissons déjà sur le développement des infrastructures pour adapter la ville aux nouveaux besoins de nos concitoyens. Nous le faisons de manière réfléchie et équilibrée, dans un contexte maîtrisé.

Ma volonté est de réhabiliter plutôt que de laisser péricliter des maisons vides ou de construire sur des terres agricoles.

Philippe Leandri, maire de Grans

La maîtrise revendiquée de la construction de logements sociaux à Grans n’est-elle pas désormais suspendue par l’arrêté du Préfet en date du 21 décembre 2023 ?

La sanction financière annoncée est très lourde. Cela représente une somme de 250 000 € chaque année sur le budget investissement, un montant qui pourrait s’alourdir avec une multiplication par 5 chaque année et atteindre la somme de 690 000 euros. On imagine bien ce que cette somme pourrait représenter sur notre budget qui est de 11 M€ avec actuellement un excédent budgétaire de 1 M€. Intenable pour nos finances !

Avec cette décision, nous craignons de perdre notre autonomie dans l’attribution des logements sociaux. À titre d’exemple, concernant le projet des 96 logements sociaux dans le secteur de l’Enclos, 84 % des attributions ont bénéficié à des Gransois, ce qui ne serait plus le cas dans le cadre de la préemption annoncée par le préfet…

Existe-t-il d’autres difficultés auxquelles la commune doit faire face pour proposer de nouveaux logements sociaux ?

Une trop grande densité de nouveaux logements, sociaux ou autres, dans une zone non urbanisée, impliquerait de revoir notre réseau d’assainissement, d’eau potable, qui serait alors sous-dimensionné avec à la clé des investissements très importants. Le budget actuel de notre commune peut-il se le permettre ? Non !

Nous allons donc rencontrer le préfet et ses services très rapidement afin de faire valoir notre point de vue et proposer un nouveau contrat de mixité sociale entérinant nos objectifs tels que la Maison Mestre par exemple en lien avec l’EPF et la métropole.

On pense également aux risques de débordement de la Touloubre, à la menace toujours présente des feux de forêt. N’oublions pas également que nous avons nombre d’hectares classés en Natura 2000 à protéger, que l’objectif Zéro artificialisation nette1 (ZAN) s’applique à notre commune sans oublier notre volonté de pérenniser voire de sanctuariser nos zones agricoles qui sont essentielles à notre qualité de vie, autant d’obstacles difficilement surmontables. J’oserais affirmer : à l’impossible, nul n’est tenu !

Tout en souhaitant un dialogue constructif avec les services du préfet, je suis prêt à sensibiliser et mobiliser les Gransois, s’il le faut, pour empêcher la construction de 320 nouveaux logements sociaux à Grans. Je préfère un développement harmonieux privilégiant le cadre de vie et la maîtrise des dépenses publiques qu’une densification à outrance. J’organiserai une réunion publique au cours de ce mois de février afin que les habitants soient informés dans le détail de notre volonté et de nos actions sur ce dossier majeur pour notre commune.

À Grans, les terres agricoles sont importantes, font vivre nombre de familles et nourrissent les habitants, quelles que soient les cultures (maraichères, fruitières, oléicoles…)
La volonté de préserver cette richesse demeure et doit s’amplifier car elle participe à notre art de bien
vivre ensemble.

Philippe Leandri, maire de Grans
  1. la loi Climat et résilience du 22 août 2021 a posé un objectif de zéro artificialisation nette à l’horizon 2050. Cette loi a également établi un premier objectif intermédiaire de réduction par deux de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers d’ici 2030 par rapport à la consommation mesurée entre 2011 et 2020.
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